Eau : Que devient la mégabassine du Trièves ?

05/04/2023

À Saint-Maurice-en-Trièves, petit village à 70 kilomètres au sud de Grenoble, une immense retenue collinaire de 70 000 mètres cube vient d'être terminée.

Par qui ? Pour quels usages ? Combien d'autres retenues collinaires ou mégabassines sont-elles en projet ?

Voici une déclaration du comité triévois des Soulèvements de la Terre, initialement publiée dans le journal associatif du Trièves, "Les Nouvelles du Pays" :

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"Êtes-vous d'accord pour que d'autres soient construites sans votre avis ?

À la demande d’un groupement composé de trois agriculteurs et du père de l’un d’eux, ce dernier, maire de Saint Maurice, a donné un avis favorable à la construction d’une retenue collinaire. L’autorisation préfectorale mentionne une superficie artificialisée de 1,5 hectares, pour un volume de 70 000 m³, l’équivalent de 25 piscines olympiques. Elle est destinée à retenir les eaux de ruissellement afin d’arroser en période sèche les cultures destinées à l’élevage bovin.

Le réchauffement climatique met la production alimentaire en péril. Et les agriculteur·ices ont le droit de vivre de leur travail, sans détruire leur outil de travail. Il est donc indispensable que la collectivité les soutienne dans l’indispensable transformation de leur métier.

Mais les méga-retenues collinaires et bassines sont un « non-sens écologique », explique M. Amblard (directeur honoraire au CNRS) : « Elles bloquent le passage vers une agriculture responsable, résiliente, économe en eau ». Un barrage qui stocke le « surplus » en hiver empêche l’eau de s’infiltrer et d’humidifier efficacement les sols.

En la gardant dans une retenue, une grande quantité d'eau se perd par évaporation, notamment lors des fortes chaleurs. De plus, ce système ne profite qu’à une infime partie de la profession : 6 % des surfaces agricoles en France sont irriguées.

Et quand plusieurs retenues sont installées dans un même secteur, le cumul peut conduire à une dégradation en quantité et en qualité des ressources hydriques.

L’usage de l’eau ne doit pas être réservé à quelques-un·es. L’activité paysanne intègre le temps : semis pour l’an prochain, plantation pour la génération suivante…  Nous demandons d’urgence un réel débat sur l’avenir de l’eau sur le territoire, ainsi que des politiques publiques pérennes, qui donnent aux agriculteur·ices les moyens de produire autrement, en tenant compte des besoins de tou·tes les usager·es de l’eau, humain·es et non humains."

Le comité local triévois des Soulèvements de la Terre

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Voici des informations complémentaires publiées par une agricultrice dans le journal associatif du Trièves, "Les Nouvelles du Pays", en juin 2023 :

"Le groupement de propriétaires ASL Soubrandin, réunissant un éleveur et un céréalier de Saint-Maurice-en-Trièves, prévoit de creuser un bassin pour l’irrigation. Située au-dessus de la RD1075, vers la Commanderie, la retenue ferait au moins 300 mètres de long, 10 mètres de profondeur, soit une surface de 1,5 hectare.

70 000 mètres cubes d’eau : c’est quatre fois la consommation annuelle du village, en incluant les fermes*. Cela représente 25 piscines olympiques (10% de la taille de la mégabassine de Sainte-Soline). Autant d’eau qui manquera en aval du bassin.

La retenue est censée se remplir uniquement avec le ruissellement des pluies. Cela supposerait un apport de 12 mètres cubes par heure en continu sur 8 mois - à comparer avec le débit de l’ensemble des sources du village : 28 mètres cubes par heure en moyenne*.

Les agriculteurs affirment que le bassin irriguerait de la luzerne, pas du maïs. Mais d’autres exploitants du village continueraient à consommer de l’eau du ruisseau pour leurs maïs. Le stockage dans le bassin viendrait donc s’ajouter aux prélèvements actuels en été.

La mairie a sûrement affiché l’accord de la préfecture, obtenu début 2022. En dehors de cette obligation légale, a-t-elle communiqué envers ses habitant·es ? Elle est pourtant au courant depuis au moins mars 2021, date où elle a rendu son avis favorable. Ce manque de concertation est d’autant plus regrettable qu’il nourrit les soupçons concernant les conflits d’intérêt du maire - son fils étant l’un des porteurs de projet.

La communauté de communes du Triève n’a pas davantage informé la population du Trièves - jusqu’à une réunion sur l’eau avec les agriculteur·ices le 10 mars dernier, où ce projet a été présenté.

Est-ce vraiment un exemple à suivre ? Chaque exploitation va t-elle creuser son propre bassin privé, pour continuer les mêmes productions et de la même manière ? Que vont devenir les forêts et les rivières si nous les privons de l’eau qui circule en hiver ? L’eau n’est-elle pas un commun, de plus en plus précieux, dont les usages devraient être décidés collectivement ?"

* données 2010 publiées sur doc-oai.eaurmc.fr et ficheinfoterre.brgm.fr

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À PROPOS DES MÉGABASSINES

Rappelons que le 5 mars 2023, plus de 30 000 personnes ont manifesté contre les mégabassines dans les Deux-Sèvres. Face aux manifestant-e-s, 3200 gendarmes et la volonté d'écraser le mouvement écologiste.

Bilan : deux manifestants dans le coma, 200 autres blessé-e-s dont 40 gravement.

Le message était clair : pour défendre la FNSEA et l'agriculture climaticide, le gouvernement était prêt à tuer.

Pour prendre un peu de recul et comprendre la situation, nous vous recommandons plusieurs témoignages et analyses :

- Un récapitulatif des violences policières à Sainte-Soline : Sainte-Soline : l’ampleur de la répression policière mise en cause

- Le témoignage d'un médecin sur place : Médecin à Sainte-Soline, je témoigne de la répression

- Les obstructions des forces de police envers les secours : Blessés à Sainte-Soline : les secours ont-ils été freinés par les forces de police ?

- Le témoignage de deux manifestants : Le piège de Sainte-Soline

- La stratégie de la terreur préparée par l'État : Mégabassines : comment le gouvernement a préparé l’opinion à un mort

- La volonté de l'État de dissoudre le mouvement Les Soulèvements de la Terre : Darmanin annonce la dissolution des Soulèvements de la Terre

- Le mythe du nombre de gendarmes blessés à Sainte-Soline : Disproportion des blessures à Sainte-Soline : la fabrique indécente des chiffres officiels

- Une analyse d'Hervé Kempf : Après Sainte-Soline, repenser la lutte

- Un communiqué des parents de S., entre la vie et la mort : Après Sainte-Soline : deux plaintes déposées par la famille de S. pour tentative de meurtre et entrave aux secours

- Un rapport instructif des Renseignements territoriaux sur les Soulèvements de la Terre : Quand une note des renseignements fait l’éloge des Soulèvements de la Terre

- L'utilisation pour la première fois à Sainte-Soline de produits de marquage des manifestant-e-s : Sainte-Soline : les autorités pistent les manifestants grâce à un produit invisible

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Pour prendre un peu de recul historique sur les violences d'État :

- La mort de Rémi Fraisse : Le 25 octobre 2014, un gendarme tue Rémi Fraisse à Sivens

- La mort de Vital Michallon : Le 31 juillet 1977, pendant la manifestation contre Superphénix, Vital Michalon est tué par une grenade à Creys-Malville (Isère)

- Le bilan de la répression des Gilets Jaunes en 2018 : Plus de 5000 arrestations, plus de 1000 blessé-e-s, des dizaines de mutilations, deux coma et un décès